À l’époque où le commerce de détail perd de plus en plus de terrain au profit du commerce en ligne, même le monde de l’édition constate que les habitudes de consommation des lecteurs du Québec sont en pleine mutation. Ce phénomène est d’autant plus remarquable en région, où les librairies sont rares et où plusieurs personnes optent pour l’achat en ligne par l’intermédiaire de sites tels qu’Amazon.
Dans les marchés de niches où certains éditeurs ne sont pas distribués en librairies, ou même pour les auteurs qui s’éditent eux-mêmes, l’envoi de livres par la poste est le seul canal de distribution disponible mais les tarifs élevés de Postes Canada sont un véritable frein à leur pratique. De manière conservatrice, un envoi au Québec coûtera entre 20% et 50% du prix d’un livre. Pour envoyer un livre en France, il faut calculer entre trente et quarante dollars. En tant qu’éditeur de bande dessinée qui œuvre dans le milieu depuis dix ans, et qui n’a pas le choix de développer son marché extérieur pour survivre (le marché étant encore trop petit au Québec), plusieurs de mes clients potentiels ont arrêté leurs actes d’achat devant des frais de port aussi élevés, sinon plus élevés, que le prix du produit.
La réponse facile à cette problématique serait de se dire que la chaîne traditionnelle du livre s’occupera de trouver une solution. Mes maisons d’édition ont la chance d’être distribuées en librairies à la fois au Québec et en Europe, et le milieu de la librairie sera toujours une partie centrale de notre industrie, mais le marketing du livre se fait de plus en plus en ligne et une nouvelle « chaîne du livre » est en train de voir le jour, où le libraire est remplacé par un chroniqueur qui dirige le lecteur vers un portail de vente (prenons le site leslibraires.ca et son programme d’affiliation, par exemple). Si toutes les étapes menant à l’acte d’achat ne sont pas bien comprises et maîtrisées par le milieu, je pense réellement que nous raterons une opportunité incroyable de contribuer à la démocratisation de la lecture. À terme, on pourrait même être tenté de se dire que « les lecteurs du Québec ne sont pas rendus là », alors que nous comprenons simplement mal leurs comportements d’achat.
Si nous voulons améliorer le niveau de littératie et d’alphabétisation au Québec, l’accessibilité au livre devrait faire partie des principaux combats à mener. Et ce combat passera, qu’on le veuille ou non, par le web et la livraison de livres directement chez le client. Ce n’est pas vrai que la plupart des Québécois se déplacent encore en librairies pour bouquiner. Même si le système de cueillette en librairies est une alternative intéressante aux frais de poste, la tendance de fond reste la même; le commerce de détail est en perte de vitesse. Ça ne veut pas dire qu’il faut pour autant abandonner les librairies. Il faut simplement leur permettre de livrer des livres en ligne, via leurs sites, à un prix qui est équivalent à celui en magasin. Leslibraires.ca a d’ailleurs franchi des étapes importantes dans ce sens, mais il reste encore du travail à faire. Selon moi, trois facettes de cette nouvelle chaîne du livre devraient être améliorées : celle de la relation avec le client virtuel avant l’achat, celle du service après-vente et celle de la livraison. Pour des raisons pratiques, je détaillerai uniquement l’aspect de la livraison, car je crois que c’est un des jalons centraux de cette nouvelle chaîne.
Aux États-Unis, USPS possède une option de livraison spéciale pour les médias, appelée « média mail », qui a sa propre tarification préférentielle. Ces tarifs attractifs, uniquement basés sur le poids, permettent aux commerces en ligne d’offrir la livraison gratuite à partir d’un certain volume de ventes. C’est en effet cet objectif que nous devrions avoir en tête; de mettre en place un système où passé une certaine somme dépensée en ligne, la livraison serait gratuite pour le client (le portail de vente étant capable de dégager un profit en payant lui-même les frais de port).
Sans l’implication de Postes Canada et du politique dans cette situation, nous n’arriverons pas à atteindre cet objectif. Il est évident qu’un tarif de livraison préférentiel pour le livre serait une forme de subvention, mais elle aurait l’avantage d’être une forme de subvention incitative à l’achat et ainsi au développement économique (et non pas à la surproduction). Un volume plus élevé de vente de livres veut aussi dire un volume de taxes perçues en plus. À ce sujet, il faudrait d’ailleurs porter une attention particulière aux différents modes de taxation concernant le livre qui sont actuellement en vigueur. En effet, si on n’applique pas la TVQ aux ventes de livres dans le commerce, on applique tout de même les taxes à la fois provinciales et fédérales sur les frais de transport (parfois, même, Amazon semble « taxer » beaucoup plus que les frais de transport, même si la compagnie prétend faire le contraire). Raison de plus pour demander à nos gouvernements de s’impliquer davantage dans le transport de livres en ligne mais… aurons-nous cette audace?