Édito

Lettre pour Jean-Pierre

Lettre écrite pour le poète du Plateau, Jean-Pierre Lauzon, publiée en mars 2020 dans La Presse .

Je me permets de l’appeler le Vieux. Parce que quand il débarque au bureau de sa députée pour me demander du change, un café ou faire un coup de fil, il m’appelle toujours « le gros », avec sa bouche pleine de vers. De vers de mots, pas de terre.

Le Vieux, avant d’être un toxicomane notoire, un « quêteux » entêté, un marginal, c’est un poète. Sans prétention. Sans foulard ni recueil. C’est juste comme ça qu’il parle. Comme certains peuvent avoir un drôle d’accent, sans nécessairement venir de loin. Lui, il vient pas de loin. Il reviendra pas de loin non plus. Toujours été là, depuis trop longtemps, pour changer. Vous l’avez sûrement déjà croisé sur Mont-Royal, d’ailleurs. Moitié Don Juan, moitié comète, jamais gêné de nous demander de l’argent en échange du sourire qu’il a réussi à excaver de notre trajectoire routinière.

Je pense beaucoup à lui, ces temps-ci. Même s’il a un toit sur sa tête, je sais que l’isolement volontaire, ça doit être tough en esti, pour lui. Depuis que je suis confiné chez moi, j’ai plus de nouvelles de mon vieux préféré. Ce serait facile de se dire que c’est son problème, qu’il soit toxicomane; qu’on pleurera quand même pas pour un junky qui aura pas sa dose de free base à cause d’une pandémie. Mais je peux pas m’empêcher. Je pense aux conséquences d’un sevrage prolongé sur le bonhomme qui vient de toper les soixante-dix ans, pis maudit que je m’inquiète. Je m’inquiète pour lui, pour sa santé… mais mon inquiétude est aussi égoïste. Parce que la dernière fois que je l’ai vu, je lui ai fait une petite épicerie, je lui ai donné dix piastres, mais quand il m’a invité à m’asseoir avec lui pour partager un café, j’ai refusé. Parce que j’ai eu la chienne. Parce que je devais tenir mes deux fucking mètres de distance.

Évidemment, le vieux est pas le genre à avoir un téléphone, encore moins de connexion Internet. J’ai appelé sa maison de chambre pour prendre des nouvelles, j’ai laissé un message… Je sais qu’il lit beaucoup. Des magazines scientifiques, les journaux, de la poésie. C’est pour ça que j’ai décidé d’écrire ce petit message. Parce que peut-être que mon pref’ va ramasser le journal quelque part…

Mon vieux, si tu lis ça, j’espère que tu vas bien. J’espère que tu gardes tes deux mètres de distance avec « ton gars », j’espère qu’il a la décence de livrer, ces temps-ci, pis que tu réussis quand même à ramasser une couple de piastres à gauche et à droite.  J’aimerais aussi ça te dire merci. Merci de m’avoir fait réaliser qu’y’avait une méchante différente entre garder ses distances pis être distant.

J’te dirai pas que « ça va bien aller », parce que t’as jamais été du genre à te faire conter des menteries. Je souhaite juste que t’aies encore le cœur à faire des rimes.

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Écrire, Édito

Sur le perron de Deglise

Samedi dernier, Fabien Deglise a publié dans les pages du journal Le Devoir un texte portant sur la bande dessinée de science-fiction au Québec. Au-delà d’une bonne critique du dernier ouvrage de Grégoire Bouchard, le journaliste a profité d’un spécial « genre » au sein du cahier culture pour dresser un étrange état des lieux du médium dans la province.

En se basant sur les propos d’auteurs qu’il a contactés – et qui ont depuis dû clarifier leurs dires et souligner que pour la plupart des cas, ils avaient été mal cités- Deglise oppose une bande dessinée « intimiste » à une bande dessinée dite de science-fiction qui inclurait « anticipation, uchronie, dystopie et univers parallèles » [sic]. Suite à un malaise certain que je semble avoir partagé avec une bonne partie du milieu de la BD au Québec depuis, j’aimerais discuter un peu des propos qui y sont tenus. Ce texte n’engage bien sûr que moi, et c’est avant tout une manière d’exorciser des idées qui me trouble et que j’ai besoin d’éclaircir, bien plus qu’un pamphlet ou une lettre ouverte.

Dans un premier temps, le journaliste cite l’auteur Sam Cantin qui aurait avancé que « la mode de la bande dessinée intimiste nuit à la bande dessinée de genre […] ». J’ai moi-même déjà tenu ce genre de propos. Tentant de faire ma place dans le milieu de la BD, j’essayais d’identifier ce qui pouvait me ralentir dans mon parcours, et j’avais remarqué qu’une bonne part de la petite attention médiatique qui était donnée à la BD au Québec était destinée à ces oeuvres dites « intimistes ». Je n’ai toutefois jamais senti que les portes du temple étaient fermées. Il suffisait de s’y présenter avec quelque chose d’intéressant. Bref, en tant qu’auteur et éditeur de bd de genre ou de littératures de l’imaginaire, je trouve la déclaration assez forte. Bien que l’attention médiatique n’ait peut-être pas été à la hauteur de mes espérances dans les débuts, j’ai toujours réussi à tirer mon épingle du jeu. Même si Studio Lounak ne reçoit aucune subvention, Front Froid a bénéficié de plus de six ans de financement public grâce à des programmes du CAM, du CALQ, du CAC et de la défunte CRÉM.

Ensuite, et ce point est particulièrement sensible pour moi, on donne en exemple la série Far Out que j’écris en compagnie d’Olivier Carpentier ainsi que la série Hiver Nucléaire de Cab, que j’édite, pour illustrer une idée selon laquelle la BD de genre d’ici se cantonnerait « à quelques récits participants d’une culture « geek ». On y rajoute que nous ne rechercherions pas à développer un discours plus profond qu’un simple jeu avec les codes de la SF. Dans un premier temps, je ne sais pas exactement ce qu’une « culture geek » veut dire, mais dans le cadre du ton péjoratif qu’il semble avoir été donné à l’acception, j’ose une explication. Nous serions le produit d’une génération conquise par une culture de passionnés d’univers imaginaires étrangers, de séries produites par Netflix, de films de superhéros et autres produits édulcorés consommés par les masses. Je suis le produit de mon époque, j’en conviens, mais avancer que le genre se cantonne à quelques récits qui participent de cette culture est réducteur, selon moi. Turbo Kid, Motel Galactic, Le Suicide de la déesse, Faüne, West, Phobie des moments seuls, une bonne partie de l’oeuvre de Jimmy Beaulieu, l’oeuvre complète de Michel Falardeau, l’oeuvre complète de Thierry Labrosse, Francis Desharnais, Cab, Zviane, ont tous été influencés par la culture populaire mondiale et peuvent tous être associés aux littératures de l’imaginaire. En ces temps d’hypermodernisme et de mondialisation, nos influences viennent autant du Japon que de la France, du Québec, de l’Italie ou des États-Unis. Dans les artistes et livres nommés plus haut, il y a des gens dont l’œuvre est associée à la bd dite intimiste, d’autres à la bd de genres. Comme les limites géographiques, les limites culturelles sont de plus en plus poreuses (voir à ce sujet le collectif dirigé par Michel Le Bris et Jean Rouaud « Pour une littérature-monde », publiée chez Gallimard). Bref, on ne peut plus présenter un milieu littéraire comme si c’était une section de librairie. Notre milieu a évolué et il est en train de devenir complet et par conséquent, complexe.

En ce qui concerne les deux œuvres dont il est fait mention dans l’article qui me concerne, faut-il rappeler que Far Out et Hiver Nucléaire sont deux séries qui s’adressent à un public très large, voire principalement constitué de préadolescents et d’adolescents. Sans pour autant aborder des enjeux de société de manière éditoriale, ou adopter une posture philosophique profonde, ce sont des ouvrages qui traitent d’enjeux importants; l’isolement, l’individualisme, le libre arbitre, la construction de soi, la guerre, les changements climatiques. Avec humour, parfois même avec légèreté, il est vrai, mais je revendique le droit d’écrire et d’éditer de belles histoires, bien construites, avec comme simple but de transporter mon lecteur. Nous faisons partie d’une nébuleuse bien plus large et riche que la dichotomie archivistique que cet article nous propose.

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Édito

La poste au secours du livre?

À l’époque où le commerce de détail perd de plus en plus de terrain au profit du commerce en ligne, même le monde de l’édition constate que les habitudes de consommation des lecteurs du Québec sont en pleine mutation. Ce phénomène est d’autant plus remarquable en région, où les librairies sont rares et où plusieurs personnes optent pour l’achat en ligne par l’intermédiaire de sites tels qu’Amazon.

Dans les marchés de niches où certains éditeurs ne sont pas distribués en librairies, ou même pour les auteurs qui s’éditent eux-mêmes, l’envoi de livres par la poste est le seul canal de distribution disponible mais les tarifs élevés de Postes Canada sont un véritable frein à leur pratique. De manière conservatrice, un envoi au Québec coûtera entre 20% et 50% du prix d’un livre. Pour envoyer un livre en France, il faut calculer entre trente et quarante dollars. En tant qu’éditeur de bande dessinée qui œuvre dans le milieu depuis dix ans, et qui n’a pas le choix de développer son marché extérieur pour survivre (le marché étant encore trop petit au Québec), plusieurs de mes clients potentiels ont arrêté leurs actes d’achat devant des frais de port aussi élevés, sinon plus élevés, que le prix du produit.

La réponse facile à cette problématique serait de se dire que la chaîne traditionnelle du livre s’occupera de trouver une solution. Mes maisons d’édition ont la chance d’être distribuées en librairies à la fois au Québec et en Europe, et le milieu de la librairie sera toujours une partie centrale de notre industrie, mais le marketing du livre se fait de plus en plus en ligne et une nouvelle « chaîne du livre » est en train de voir le jour, où le libraire est remplacé par un chroniqueur qui dirige le lecteur vers un portail de vente (prenons le site leslibraires.ca et son programme d’affiliation, par exemple). Si toutes les étapes menant à l’acte d’achat ne sont pas bien comprises et maîtrisées par le milieu, je pense réellement que nous raterons une opportunité incroyable de contribuer à la démocratisation de la lecture. À terme, on pourrait même être tenté de se dire que « les lecteurs du Québec ne sont pas rendus là », alors que nous comprenons simplement mal leurs comportements d’achat.

Si nous voulons améliorer le niveau de littératie et d’alphabétisation au Québec, l’accessibilité au livre devrait faire partie des principaux combats à mener. Et ce combat passera, qu’on le veuille ou non, par le web et la livraison de livres directement chez le client. Ce n’est pas vrai que la plupart des Québécois se déplacent encore en librairies pour bouquiner.  Même si le système de cueillette en librairies est une alternative intéressante aux frais de poste, la tendance de fond reste la même; le commerce de détail est en perte de vitesse. Ça ne veut pas dire qu’il faut pour autant abandonner les librairies. Il faut simplement leur permettre de livrer des livres en ligne, via leurs sites, à un prix qui est équivalent à celui en magasin. Leslibraires.ca a d’ailleurs franchi des étapes importantes dans ce sens, mais il reste encore du travail à faire. Selon moi, trois facettes de cette nouvelle chaîne du livre devraient être améliorées : celle de la relation avec le client virtuel avant l’achat, celle du service après-vente et celle de la livraison. Pour des raisons pratiques, je détaillerai uniquement l’aspect de la livraison, car je crois que c’est un des jalons centraux de cette nouvelle chaîne.

Aux États-Unis, USPS possède une option de livraison spéciale pour les médias, appelée « média mail », qui a sa propre tarification préférentielle. Ces tarifs attractifs, uniquement basés sur le poids, permettent aux commerces en ligne d’offrir la livraison gratuite à partir d’un certain volume de ventes. C’est en effet cet objectif que nous devrions avoir en tête; de mettre en place un système où passé une certaine somme dépensée en ligne, la livraison serait gratuite pour le client (le portail de vente étant capable de dégager un profit en payant lui-même les frais de port).

Sans l’implication de Postes Canada et du politique dans cette situation, nous n’arriverons  pas à atteindre cet objectif. Il est évident qu’un tarif de livraison préférentiel pour le livre serait une forme de subvention, mais elle aurait l’avantage d’être une forme de subvention incitative à l’achat et ainsi au développement économique (et non pas à la surproduction). Un volume plus élevé de vente de livres veut aussi dire un volume de taxes perçues en plus. À ce sujet, il faudrait d’ailleurs porter une attention particulière aux différents modes de taxation concernant le livre qui sont actuellement en vigueur. En effet, si on n’applique pas la TVQ aux ventes de livres dans le commerce, on applique tout de même les taxes à la fois provinciales et fédérales sur les frais de transport (parfois, même, Amazon semble « taxer » beaucoup plus que les frais de transport, même si la compagnie prétend faire le contraire). Raison de plus pour demander à nos gouvernements de s’impliquer davantage dans le transport de livres en ligne mais… aurons-nous cette audace?

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Édito, Contemplation

L’horreur du vide

J’ai de très bons parents, des amis qui sont là pour moi et avec qui j’ai beaucoup de plaisir, un boulot qui me passionne, des passe-temps, des projets. J’ai une « belle vie »…

… mais.

Mais il m’arrive parfois d’être seul chez moi et de ne pas savoir quoi faire. Pas envie de lire, pas envie d’écrire, pas envie d’écouter Netflix, de boire, de fumer, de baiser. Ce sont des moments où j’aurais besoin de faire quelque chose de significatif, me semble-t-il, sans pour autant être capable d’identifier ce qui pourrait me remplir.

Je pourrais choisir de faire du yoga, de prendre des cours de je-ne-sais-quoi, de replonger dans les sports élites. Ce sont des activités qui rempliraient ma journée, certes, mais me rempliraient-elles spirituellement, donnerait-elle un sens à ma vie? Je sais, les mots « le sens de la vie » font peur. Ils sont tellement gros qu’ils nous paraissent souvent irréels, caricaturaux. Il y a même quelque chose d’un peu bourgeois dans cet énoncé.

Rationnellement, lorsqu’on se compare au reste de la planète, il est grotesque de se poser la question. De quoi pouvons-nous bien nous plaindre, alors que nous nageons dans l’opulence? Nous n’aurions pas à nous poser la question si notre principale occupation quotidienne était de survivre.

Je suis bien conscient que d’une certaine façon, je fais de l’excès de zèle. La plupart d’entre nous ont trouvé un sens à leurs vies sans trop de difficultés. Que ce soit en faisant des enfants, à travers la religion ou certaines pratiques spirituelles, le travail, les passions, le bonheur ne manque pas d’alibis. Il est même possible de passer sa vie sans se poser la question. On peut être « trop occupé » pour chercher un sens et très bien vivre avec ça. Mais je suis athée, je ne veux pas d’enfant et j’ai le luxe (ou le malheur, c’est selon) d’avoir le temps de me poser la question. Et je n’ai pas l’impression d’être le seul. La popularité des films de zombies, du survivalisme et de l’esthétique post-apocalyptique ne pourrait-elle pas venir d’une inconsciente volonté de revenir à un état où nous n’aurions justement pas le luxe de nous poser des questions existentielles? Serions-nous fatigués de devoir remplir nos vies?

Claire Lamarche décrit les enfants qui ont actuellement entre dix et treize ans comme faisant partie d’une génération où « le silence et l’ennui n’existe pas » (Les Échangistes, 6 septembre 2017), en pointant du doigt la technologie comme étant la principale cause de ce vacarme. Ne serions-nous pas toutefois les principaux coupables de cette frénésie? La société laïque est encore toute jeune. Il faut à peine remonter trois générations pour revenir à l’époque où la religion réglait nos vies et venait annihiler à la racine toute éventuelle crise de sens. Depuis, chaque génération laïque a trouvé sa propre méthode pour combler le vide; psychédélisme, mouvement hippie, new age, psycho populisme, société du loisir… on a inscrit nos enfants à l’équitation, au piano, au cours de mathématique privé et maintenant quoi, on voudrait en plus qu’ils apprennent à s’ennuyer? C’est notre propre crise spirituelle qui a créé cette situation, pas la technologie.

Avons-nous le courage et les moyens d’affronter le silence, ce vide qui rôde à quelques pas de nos longues heures à planifier notre prochain voyage, à s’entraîner, à chercher le restaurant, l’album, le roman, le film qui nous surprendra de nouveau?

Et s’il était possible d’être heureux tout en contemplant l’absurdité de la vie? Ne serait-il pas possible de revendiquer le droit d’être heureux, pessimiste, ennuyé, content et déprimé à la fois? D’accepter le chaos dans tout ce qu’il a de destructeur et de créateur? Si l’ennui et le silence nous mettent parfois en face de l’absurdité de notre propre existence, ce sont aussi des vecteurs de rêve, de création, de singularité, de ténèbres et d’étincelles (comme le dit aussi Claire Lamarche, d’ailleurs…).

Un peu plus de soixante-dix ans après la publication de L’Existentialisme est un humanisme, de Sartre, est-il possible d’être en paix avec la vacuité de notre existence sans pour autant se faire prescrire du Prozac?

La nature a peut-être horreur du vide, mais pas le cosmos. Permettez-nous donc de nous perdre entre les étoiles.

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Les geeks ont gagné quoi, au fait?

Je devais avoir huit ou neuf ans lorsque, à l’occasion d’un souper chez mon parrain, j’ai eu pour la première fois un aperçu de la force évocatrice que pouvait avoir la culture populaire. Sur un des murs de son étroite cuisine montréalaise était accroché un petit cadre contenant une cellule acétate ayant servi à réaliser un plan du dessin animé de Popeye. Je suis resté plusieurs minutes à admirer l’artéfact, impressionné par sa présence au sein d’un décor plutôt classique. Ce n’était pas une épiphanie mais plutôt une constatation déconcertante : quelque chose qui faisait partie de mon imaginaire d’enfant était élevé au rang d’œuvre d’art. Je venais d’assister sans le savoir à mon premier cours sur le Pop Art.

Toute ma vie, j’ai été fasciné par des objets qui m’invitaient à plonger tête première au sein d’univers qui me sortaient de mon quotidien. Les piles de comics dans la chambre du grand frère de mon meilleur ami, la grosse boite d’Hero Quest déballée pour la première fois, un vingt-six Décembre. Les premiers dés brassés pour savoir de quoi mon personnage de D&D serait capable. Cette fascination n’est pas apparue spontanément; elle fut probablement alimentée par ma situation familiale atypique, mais il n’est pas nécessaire de nous concentrer là-dessus. Ce n’est pas nécessaire car je ne me suis jamais senti opprimé par ma situation. J’ai de bons parents qui m’ont fournis tout le nécessaire pour me développer et j’ai toujours eu de bons amis avec qui socialiser.

Oui, à ma première journée d’école primaire j’ai reçu un coup de pied au visage. Oui, je me suis déjà fait enfoncer la tête dans le carré de sable parce que « c’était drôle », mais je m’en suis sorti assez rapidement pour que ces rares expériences ne soient pas représentatives de mon enfance. Plusieurs n’ont pas eu cette chance, et même si j’ai atteint l’âge adulte et que je ne suis plus partie prenante de la géopolitique de la cours d’école, force est de constater que plusieurs n’ont encore pas cette chance.

Ce qui m’amène à aborder la raison pour laquelle j’écris ces lignes. Depuis un certain temps déjà, on entend que les geeks auraient « gagné ». C’est une phrase que j’ai sûrement moi-même dite en compagnie de mes collègues, au podcast Les Mystérieux Étonnants.

« Les geeks ont gagné ».

Un jour, Les Mystérieux Étonnants ont reçu un message d’un jeune auditeur qui sentait le besoin de nous faire part de son expérience. En substance, il voulait nous expliquer que pour lui, les geeks n’avaient pas gagnés… Il subissait la même chose que la plupart de mes compères avaient eux-mêmes subit à l’école. Cette année d’ailleurs, au Comic-Con de Montréal, il y avait un kiosque tenu par un groupe de motards dont la mission exclusive est de protéger les victimes d’intimidation à l’école.

Il est donc nécessaire de se poser la question : qu’avons-nous donc gagné? Une partie d’entre nous ont vieillis et ont gagné un pouvoir d’achat considérable. Les mégas productions d’Hollywood ont démocratisé les porte-étendards de la culture du comic book. Nous avons même de magnifiques modèles de réussite autant sociale qu’économique tel qu’Elon Musk, Mark Zuckerburg, Bill Gates et Neil deGrasse Tyson, pour ne nommer que ceux-là. Les gens sont conscients de notre présence, de notre place et de notre contribution à la société.

Mais est-ce gagner que d’être présent ? Que penseraient les premiers hackers, crackers, phreakers et tous les grands-papas nerds de tout ça? Qu’en pensent Steve Jackson, le fondateur de GURPS ou Kevin Eastman, qui a utilisé sa fortune des Ninja Turtles pour développer une scène du comic book indépendante riche et fertile? Que pense-t-il du fait que l’allée des artistes au Comic-Con de San Diego est un spectacle triste à voir tellement elle est vide, en comparaison au restant de l’exposition?

Mathieu Charlebois, dans un récent texte au sujet du Comic-Con de Montréal, a dépeint avec talent une scène qui m’a touchée droit au cœur. Celle d’un jeune homme habillé en Joker mangeant son Thai Express sous un escalier du Palais des Congrès, l’air fatigué (saluons-le bien bas). Une bonne partie de nous ressemble un peu à ce joker; la fuite, bien que rassembleuse, nous a épuisée et la victoire a un arrière-goût de défaite. Pourquoi donc?

Votre grand-père qui passait ses soirées à faire des dissertations sur les différents types de trains, de locomotives diesel et à vapeur, votre tante qui passe ses fins de semaines dans des salons de courtepointes, sont aussi des geeks. Ils ont besoin de sortir de leur quotidien pour décompresser, d’appartenir à des clans. C’est humain. Ont-ils quelque chose à prouver? Ont-ils un agenda? Voulaient-ils « gagner » quelque chose?

Dire que les geeks ont gagné semble avant tout souligner un problème plus radical. Le fait qu’il y ait confrontation, quelque part. Nous sommes bel et bien en train de parler de cette sempiternelle rivalité entre les « cool » et les « rejet »… n’est-ce pas?  Serions-nous, finalement, toujours dans cette foutue cours d’école? Et si nous y sommes encore, qui a gagné, à l’heure ou Donald Trump est président, ou le Canadien de Montréal a plus de temps média que le premier ministre, ou Rambo pense se présenter aux élections, ou on rit encore de la moustache de Manon Massé?

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Il est si simple de faire un budget…

L’hiver dernier, un journaliste blogueur du journal Les Affaires a publié un texte portant sur le budget personnel. Il débutait son papier en se demandant ce que l’on pouvait encore apprendre aux lecteurs à ce sujet. Il est vrai que la tâche de rendre intéressant l’exercice budgétaire est plutôt ardue, surtout au retour des fêtes. Ce journaliste ne semblait pas comprendre pourquoi « les gens » trouvaient aussi difficile la tâche de faire un budget, alors qu’il suffirait, selon lui, « de consigner ses dépenses dans un classeur Excel et de le faire balancer avec son chèque de paye ». Sous sa plume, séparer ses revenus entre « épargne, besoins essentiels et plaisirs de la vie » semble d’une simplicité désarmante, voire enfantine.

À la lumière des statistiques sur l’endettement élevé des canadiens, le citoyen serait alors l’unique responsable de son malheur financier. Bref, le citoyen endetté devrait arrêter de se plaindre pour commencer à « couper dans le gras ». Sans pouvoir mettre le doigt sur les aspects de son raisonnement qui me choquait, le problème est trop important pour que l’on puisse se satisfaire d’une réponse aussi simple, car il s’agit ici de traiter d’un sujet d’une gravité importante, qui a un impact sur plusieurs facettes de notre société. La gestion du passif est devenue une préoccupation qui oriente la majeure partie des décisions des citoyens, mais aussi des gouvernements. « Le ratio du service de la dette des ménages, soit le total des paiements obligatoires de capital et d’intérêt en proportion du revenu disponible, s’est établi à 13,8% au quatrième trimestre », reportait une journaliste de La Presse, en mars dernier (La Presse, 11 mars 2016). La dette du Québec, elle, a atteint 280 milliards de dollars en octobre 2016.

Selon Statistique Canada, les dépenses totales moyennes par famille sont de 82 700$ annuellement. Sur ce montant, 73% (60 516$) est attribué aux dépenses de consommation courantes. Les dépenses discrétionnaires, à savoir les fameuses « dépenses compressives », les loisirs, le tabac et l’alcool s’élèvent à 7 200$, représentent 12% des dépenses de consommation.  Le reste des dépenses du ménage moyen se sépare entre l’impôt sur le revenu, les cotisations aux régimes d’assurance et d’épargne et les pensions alimentaires. Si on isole les cotisations aux assurances et à l’épargne retraite, elles représentent à peine 6% des dépenses totales des ménages.

Vous voyez une corrélation dans les chiffres plus haut? Il est saisissant de constater que le ratio du service de la dette des ménages (13,8%) soit plus élevé que leur dépenses dites « compressibles » (12%). Selon le journaliste du journal Les Affaires, cette constatation n’est en aucun cas alarmant, puisque le budget discrétionnaire « peut être réduit jusqu’à zéro ». La preuve étant que « bien des ménage n’ont pas le luxe d’en avoir un, ou si peu (sic) ». Ce serait un euphémisme d’avancer qu’on a ici affaire à une solution simpliste. Qu’est-ce qui relève du superflu, de l’essentiel? Est-il normal que la moyenne des ménages canadiens doive vivre sans budget discrétionnaire afin de rembourser son passif? Devrions-nous donc suivre la grande tendance actuelle de l’austérité et se priver complètement des petits plaisirs de la vie?  Quel impact ce genre de  mode de vie pourrait avoir sur la productivité?

On pourra argumenter que la valeur des actifs des ménages augmente, mais il ne faut pas oublier que les chiffres mentionnés ci-haut font référence à une « moyenne », et qu’encore aujourd’hui, près de 72% des canadiens n’ont pas de plan financier structuré (Patrimoine Hollis, 2015), et que près d’un tiers des canadiens vit d’une paye à l’autre, et que deux ménages canadiens sur trois n’ont aucune richesse (Radio-Canada International, 24 janvier 2014).

Il est intéressant de voir à quel point le citoyen est confronté aux mêmes problématiques financières que nos gouvernements. Depuis quarante ans, l’état et son peuple se sont endettés afin de couvrir des dépenses dites « d’épicerie », ou qui n’avait pas d’effet à long terme sur la croissance de leurs actifs. Mais pourquoi donc? Comment se fait-il qu’une quantité aussi alarmante de citoyens et de gouvernement ait décidé, conjointement, de consommer autant à crédit?

À la fin du vingtième siècle, alors que l’Occident rêvait de la société des loisirs à venir, il semblerait que nos choix politiques, notre organisation du travail et nos objectifs de croissance nous aient incités à consommer du crédit afin de poursuivre un certain idéal politico-économique représentatif du rêve accompli et du progrès. Plusieurs ont profités de ce progrès. Mais en 2017, à l’heure du protectionnisme renaissant et de la remise en question des accords de libre-échange, du spectre d’une déréglementation encore plus forte du système bancaire américains, d’une hausse à prévoir des taux d’intérêts et d’une course perdue d’avance contre les changements climatiques, l’endettement des ménages et des états devient un cocktail des plus explosifs.

Il faudrait alors cesser de perdre notre temps en debt shaming, et se demander si nous en faisons assez en tant que société pour éduquer massivement la population au sujet de ses finances personnelles, mais aussi peut-être refaire un plan d’affaires collectif pour les années à venir… Notre endettement nous force à nous demander où nous voulons que notre argent futur soit investi, mais surtout si nous avons les moyens de nous payer réellement ce rêve d’un autre siècle. Ce n’est pas en passant par-dessus la petite bière du vendredi soir qu’on règlera un problème structurel.

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La fêlure (V) – ENCORE!

Voici donc le texte que j’ai publié au sein du collectif La fêlure, qui réfléchit la « crise » que le Québec vit actuellement.

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Crédit photo ~db~

Crédit photo ~db~

Le Québec est perturbé. Comme une trentenaire à peine sortie de l’adolescence qui vient d’apprendre que son patron met du GH dans ses drinks à tous les cinq à sept, pour mieux la baiser à son insu.

Le Québec n’est pas en train de changer. Quelques citoyens sortent de leur torpeur orgasmique, agressés par la pénétration trop brutale et par les mécanismes de contrôle qui tentent de les étrangler maintenant de manière évidente. À force de gémir, la gag ball s’est enfoncée trop profondément dans leurs bouches, et les a réveillés en sursaut.

Et Pourtant!

La majorité continue de prendre un plaisir malsain à être créative dans l’horreur, assiégée par un pernicieux et lucratif syndrôme de Stockholm. Le sadomasochisme est à la mode. À ceux qui n’en peuvent plus et qui tentent, tragiquement, de se libérer de son étreinte, l’agresseur ne fait que donner quelques baffes de plus qu’à l’habitude. Mais la majorité aime ça, à mort.

Se passe-t-il quelque chose?

Vraiment?

Nous, qui nous nous débattons tant bien que mal afin d’éviter l’ivresse de l’abandon, sommes-nous prêts à nous défendre?

Vraiment?

Présentement, nous n’avons rien à dire, ou si peu. À entendre nos contemporains, il faudrait se laisser faire, être « pacifiques ». Accepter de changer de position, au mieux.

On aime tous baiser, mais il y a des limites. Notre chatte n’en peut plus, et ils sont si nombreux à écarter les jambes. Le Québec n’est pas en train de changer. Il est perturbé, meurtri. Loin d’être cicatrisé. Il se peut même que nous jouissions encore, bien malgré nous, entre deux sanglots. Ce sera peut-être assez pour nous faire oublier la cire chaude et les menottes. Peu importe. L’agresseur ira jusqu’au bout. Tant que les jouets de toutes sortes exerceront sur nous un pouvoir d’attraction charmeur, la foreuse s’en donnera à cœur joie.

Débandons, nous aussi!

L’étreinte romantique dont nous rêvons implique trop de changements radicaux dans la manière selon laquelle nos systèmes politiques et économiques se déploient. Dans cette société huilée au désir, la rationalité, la sagesse, la transparence, l’humilité, l’équité ne sont pas sexy. Le petit Jérémy ne chantera jamais la justice sociale. La lenteur et la réflexion énervent. Ils se font raccrocher la ligne au nez par Simon Durivage. La plus grande contestation socio-écologique de l’histoire de l’amérique du Nord est ignorée par le journal le plus lu au Québec. Les mouvements sociaux où aucune fenêtre n’est brisée ne sont pas rapportés. Au souper de famille du dimanche, on se fait dire de se calmer.

C’est vrai, finalement, que le Québec n’est plus le même. Son masque est tombé, et le visage qu’il dévoile est paniquant. L’agresseur est aussi victime. Ses traits étirés par l’insomnie lui donnent des airs de spectre. Il n’en peut plus, mais il ne sait pas quoi faire d’autre. Comme nous, il est né parmis les panneaux réclame, les carrosseries luisantes, les sièges en cuir et les jambes de cinq pieds de Barbie. On aurait presque envie de le prendre dans nos bras, de le consoler. De lui dire que l’on comprend sa souffrance, et la haine qu’il recrache à notre visage comme une bile toxique.

Et puis… si ça peut lui faire du bien. On aime bien baiser. Après tout…  non?

par Gautier Langevin

avec
Laurie Bédard
Charles Dionne
Fabrice Masson-Goulet
Samuel Mercier
Alice Michaud-Lapointe
Jean-Benjamin Milot
Mathieu Poulin
Éric Samson

Cette série de textes est publiée en simultané sur Poème sale et La Swompe.

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?, Écrire, Édito

Mais où est donc passé le Golem?

Finissons-en une bonne fois pour toute.

Vous connaissez Norbert Wiener? Monsieur Wiener est un des penseurs de la cybernétique, et un juif. Je le précise car ça a un rapport avec mon propos.

Les juifs ont un lien affectif particulier avec la cybernétique. Wiener suppose en effet que cette sensibilité, ou cette ouverture au concept de « dialogue » avec la machine, est dû à la figure du golem qui est très présente dans l’imaginaire juif. Le golem, cet être construit par le rabbin pour protéger la communauté, est contrôlé grâce à la connaissance du nom de Dieu. Comme dans l’Apprenti Sorcier, de Walt Disney, celui qui contrôle le langage comme il se doit [soulignons] contrôle le golem.

Tout ça est d’une ironie incroyable, car selon moi, notre peur de la technologie a un rapport certain avec le génocide des juifs durant la deuxième guerre mondiale.

Pour faire une histoire courte, l’Allemagne nazi a utilisé les savoirs de la révolution industrielle pour les appliquer au meurtre de masse.  Avec les chambres à gaz, on a industrialisé la mort, et on a déshumanisé l’humain. Grâce à un contrôle malveillant du langage, les nazis sont allés jusqu’à interdire l’utilisation du mot « cadavre » pour le remplacer par « poupée »…

L’apprenti sorcier qui n’utilise pas les bonnes « formules magiques » pour contrôler son environnement devient fou, et se fait envahir par les « monstres » technologiques étranges.

Je pense que notre peur de la technologie vient un peu de là. Nous associons « inhumain » et « mort » à cause de traumatismes historiques majeures. On pourrait aussi faire le même exercice avec l’expérience d’Hiroshima.

C’est normal, mais je m’ennuie du bon vieux golem.

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Textobjet

Je ne sais pas par où continuer. Il y a trop de choses à dire.

Premièrement, j’aimerais mettre une chose au clair : je m’intéresse à la charge poétique de la technologie (ou à son absence). Je ne suis pas « pour » ou « contre » la technologie. C’est absurde.  Mon opinion à ce sujet est que nous sommes nous-mêmes technologiques. Une partie de l’intérêt de cette réflexion est de discuter des limites et des origines du « naturel » et du « synthétique ». Est-ce que le « moi », la « conscience », l' »âme » sont des concepts « naturel »? « Technologiques »? Attention, je ne pose que la question. Je ne suis pas là pour essayer de vous convaincre de quoi que ce soit. Je suis là pour essayer d’ouvrir le discours au sujet de la technologie.

J’aimerais vous référer à une conversation qui a germée suite à la publication sur mon mur Facebook de mon dernier billet, mais c’est pas mal long. Je vais simplement poster un commentaire que j’y ai fait,  :

Malgré la révolution industrielle, le néo-libéralisme, les dictats de l’opinion public, nous voulons continuer à vivre ensemble. À être une société, et non pas une collectivité d’êtres prisonniers d’une routine orchestrée autour de notre minable petit travail et de nos minables petits produits, qui ne sont plus chargés d’aucune poésie. Qui, depuis la révolution industrielle et la deuxième guerre mondiale, sont des véritables petits cadavres. Nous ne serons jamais assez courageux pour tout foutre à terre et ainsi revenir aux lettres, alors on « texte ».

Ce qui m’amène à parler des objets. Précisons dès le départ: je ne condamne pas les objets. Je me questionne sur la manière dont nous les concevons et les produisons. Il y a plusieurs données qui nous ont poussées à changer la manière dont nous concevons et produisons nos objets : le coût de production, la mode, le soucis de rejoindre des marchés de plus en plus large, la disparition de certains matériaux, etc. Prenons par exemple un appartement de Montréal qui a été construit dans les années trente, et comparons-le à un logement dit moderne (construit entre les années 70 et aujourd’hui) : les matériaux sont différents, les coûts sont différents, l’accès au logement est différent. La manière de concevoir les logements destinés au commun des mortels [je souligne] est différente, aussi. Les planchers flottants, les moulures, les fenêtres; tout est de plus en plus « standard ». La réponse commune à ce constat est que par soucis d’économie (et donc de démocratisation) on standardise.  Une autre réponse, complémentaire, serait que le savoir des artisans s’est perdu. En voulant standardiser, on a peut-être démocratisé un peu plus (et encore là j’en doute) mais on a délaissé (perdu?) un savoir très important; celui de raconter des histoires à travers nos objets. Avant, on ne faisait pas que construire un meuble, on l’écrivait, aussi. On l’ornait de choses qui étaient importantes pour nous : plusieurs références de type biblique, mais aussi à la nature, à la mer, au nautisme, à la chasse ornaient notre environnement.

Je ne sais pas si vous voyez où je veux en venir. Ça prendra encore un ou deux autres billets, je crois.

Encore une fois, à suivre…

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