Pour de funestes raisons, j’ai visité le Jardin botanique de Montréal, il y a deux semaines. Huit ans s’étaient écoulés depuis que j’y avais mis les pieds pour la dernière fois. C’était une matinée qui annonçait une journée chaude, comme le mois de septembre nous en a fait grâce à tant de reprises, cette année. J’étais un peu trop habillé pour l’occasion, mais à la seconde où j’ai entrepris de marcher sur les sentiers rocailleux du jardin, je me suis fait la promesse d’y remettre les pieds plus souvent, en des jours qui seraient à la hauteur de la sérénité de l’endroit.
Le matin, alors que les touristes n’ont pas encore envahi les lieux, la nature vous y accueille, toutes branches ouvertes, parfois timide, parfois grandiose, avec cette majesté qui, tragiquement, vous donne l’impression qu’elle est immuable. Pardonnez la prêche, mais louanger la résilience ne devrait jamais nous dédouaner du devoir de bienveillance. Demandez aux papillons monarque.
C’était la première fois de l’été que j’en croisais. Grâce aux asclépiades du jardin, une quantité phénoménale virevoltait un peu partout. Cette vision a fait ressurgir en moi une idée qui était enfouie sous les couches de souvenirs plus récents. Enfant, j’ai longtemps pensé que les papillons créaient les grains de beauté. Je devais avoir quatre ans, environ, lorsqu’un papillon de nuit s’est posé sur ma main pour y laisser une petite tache rouge foncé. Je me rappelle avoir demandé à ma mère si mon observation était valide, mais je ne me rappelle plus de sa réponse. Aujourd’hui, je repense à la scène en me disant que la marque devait se trouver sur ma main depuis toujours, mais que l’insecte n’avait fait que m’indiquer un endroit de mon corps que je n’avais jamais vraiment inspecté. Parfois, j’ai l’impression que ce moment n’est peut-être aussi que le souvenir d’un rêve. Mais ce n’est pas l’encrage de la scène dans le réel qui est important, c’est ce qu’elle renferme; son message, sa beauté.
La nature a souvent cette faculté de nous faire découvrir des choses sur nous-mêmes qui ont toujours été là. Cette pensée me traversait l’esprit lorsqu’au détour d’un sentier, comme une ligne de dialogue bien placé sur mon chemin, à la lisière d’un jardin que nous garderons secret, je suis tombé sur un petit labyrinthe construit de branches tressées. Le labyrinthe devrait être une structure beaucoup plus répandue. Dans les parcs, il devrait y avoir autant de labyrinthes que de statues. Il pourrait y avoir le labyrinthe Maurice Richard, avec des couloirs rappelant les murs d’une usine et une patinoire en son centre. Un labyrinthe Émile Nelligan, rempli de fenêtres givrées. D’autres pourraient être érigés sans avoir à rendre hommage à quelqu’un en particulier. J’aimerais bien me promener dans un labyrinthe plein de bibliothèques, au centre duquel il y aurait un petit café avec un piano. Le dimanche, une musicienne s’y installerait et on pourrait entendre ses notes jusqu’à la porte du labyrinthe. Nos vies sont des labyrinthes. On passe notre temps à faire des choix pour savoir si nous allons à gauche ou à droite. Certains veulent découvrir ce qui se cache au centre d’eux-mêmes, alors que d’autres tentent de trouver la manière la plus rapide d’en sortir.
La raison funeste qui m’amenait au Jardin botanique ce matin-là était la commémoration de la mort d’un ami de la famille. Juste à côté de ce labyrinthe, un banc en son nom y était dévoilé. Chacun avait sa petite anecdote à raconter à son sujet. Certains voyaient en lui un homme de principe, pour qui l’engagement social faisait partie des responsabilités de tout un chacun, d’autres avaient connu un homme droit, réservé et généreux. Dans mon cas, depuis que je suis tout petit, c’était pour moi un Ent rigolo, sur qui le temps terrestre n’avait que très peu d’emprise. Ses entrées chez mon père avaient toujours des airs d’événements. Il arrivait la plupart du temps déguisé, avec des cadeaux parfois farfelus, parfois démesurés, mais en me rappelant de ces moments, il y a une chose qui me reste particulièrement en mémoire. Sur son visage, on pouvait presque toujours voir un air à moitié surpris, comme s’il ne s’attendait pas à arriver là. Il prenait toujours un moment avant de répondre à quelqu’un. En face de moi, à la table à dîner, ce voyageur temporel qui, pour une inexplicable raison, devait absolument manger séparément ses pommes de terres, puis ses légumes verts, puis ses protéines, était une énigme. Nous avons tous pris des chemins différents pour parcourir le labyrinthe qui se nommait Jean, mais en son centre, je pense que nous nous entendons tous pour dire qu’il y avait un être d’une magnifique singularité, qui a alimenté et chéri une enfance toujours grandissante en lui.
La nature a décidé de nous reprendre Jean il y a un an. Une fois de plus, elle m’aura fait décourir quelque chose sur moi-même qui avait toujours été là.