Contemplation

Promenade pour un labyrinthe

Pour de funestes raisons, j’ai visité le Jardin botanique de Montréal, il y a deux semaines. Huit ans s’étaient écoulés depuis que j’y avais mis les pieds pour la dernière fois. C’était une matinée qui annonçait une journée chaude, comme le mois de septembre nous en a fait grâce à tant de reprises, cette année. J’étais un peu trop habillé pour l’occasion, mais à la seconde où j’ai entrepris de marcher sur les sentiers rocailleux du jardin, je me suis fait la promesse d’y remettre les pieds plus souvent, en des jours qui seraient à la hauteur de la sérénité de l’endroit.

Le matin, alors que les touristes n’ont pas encore envahi les lieux, la nature vous y accueille, toutes branches ouvertes, parfois timide, parfois grandiose, avec cette majesté qui, tragiquement, vous donne l’impression qu’elle est immuable. Pardonnez la prêche, mais louanger la résilience ne devrait jamais nous dédouaner du devoir de bienveillance. Demandez aux papillons monarque.

C’était la première fois de l’été que j’en croisais. Grâce aux asclépiades du jardin, une quantité phénoménale virevoltait un peu partout. Cette vision a fait ressurgir en moi une idée qui était enfouie sous les couches de souvenirs plus récents. Enfant, j’ai longtemps pensé que les papillons créaient les grains de beauté. Je devais avoir quatre ans, environ, lorsqu’un papillon de nuit s’est posé sur ma main pour y laisser une petite tache rouge foncé. Je me rappelle avoir demandé à ma mère si mon observation était valide, mais je ne me rappelle plus de sa réponse. Aujourd’hui, je repense à la scène en me disant que la marque devait se trouver sur ma main depuis toujours, mais que l’insecte n’avait fait que m’indiquer un endroit de mon corps que je n’avais jamais vraiment inspecté. Parfois, j’ai l’impression que ce moment n’est peut-être aussi que le souvenir d’un rêve. Mais ce n’est pas l’encrage de la scène dans le réel qui est important, c’est ce qu’elle renferme; son message, sa beauté.

La nature a souvent cette faculté de nous faire découvrir des choses sur nous-mêmes qui ont toujours été là. Cette pensée me traversait l’esprit lorsqu’au détour d’un sentier, comme une ligne de dialogue bien placé sur mon chemin, à la lisière d’un jardin que nous garderons secret, je suis tombé sur un petit labyrinthe construit de branches tressées. Le labyrinthe devrait être une structure beaucoup plus répandue. Dans les parcs, il devrait y avoir autant de labyrinthes que de statues. Il pourrait y avoir le labyrinthe Maurice Richard, avec des couloirs rappelant les murs d’une usine et une patinoire en son centre. Un labyrinthe Émile Nelligan, rempli de fenêtres givrées. D’autres pourraient être érigés sans avoir à rendre hommage à quelqu’un en particulier. J’aimerais bien me promener dans un labyrinthe plein de bibliothèques, au centre duquel il y aurait un petit café avec un piano. Le dimanche, une musicienne s’y installerait et on pourrait entendre ses notes jusqu’à la porte du labyrinthe. Nos vies sont des labyrinthes. On passe notre temps à faire des choix pour savoir si nous allons à gauche ou à droite. Certains veulent découvrir ce qui se cache au centre d’eux-mêmes, alors que d’autres tentent de trouver la manière la plus rapide d’en sortir.

La raison funeste qui m’amenait au Jardin botanique ce matin-là était la commémoration de la mort d’un ami de la famille. Juste à côté de ce labyrinthe, un banc en son nom y était dévoilé. Chacun avait sa petite anecdote à raconter à son sujet. Certains voyaient en lui un homme de principe, pour qui l’engagement social faisait partie des responsabilités de tout un chacun, d’autres avaient connu un homme droit, réservé et généreux. Dans mon cas, depuis que je suis tout petit, c’était pour moi un Ent rigolo, sur qui le temps terrestre n’avait que très peu d’emprise. Ses entrées chez mon père avaient toujours des airs d’événements. Il arrivait la plupart du temps déguisé, avec des cadeaux parfois farfelus, parfois démesurés, mais en me rappelant de ces moments, il y a une chose qui me reste particulièrement en mémoire. Sur son visage, on pouvait presque toujours voir un air à moitié surpris, comme s’il ne s’attendait pas à arriver là. Il prenait toujours un moment avant de répondre à quelqu’un. En face de moi, à la table à dîner, ce voyageur temporel qui, pour une inexplicable raison, devait absolument manger séparément ses pommes de terres, puis ses légumes verts, puis ses protéines, était une énigme. Nous avons tous pris des chemins différents pour parcourir le labyrinthe qui se nommait Jean, mais en son centre, je pense que nous nous entendons tous pour dire qu’il y avait un être d’une magnifique singularité, qui a alimenté et chéri une enfance toujours grandissante en lui.

La nature a décidé de nous reprendre Jean il y a un an. Une fois de plus, elle m’aura fait décourir quelque chose sur moi-même qui avait toujours été là.

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Édito, Contemplation

L’horreur du vide

J’ai de très bons parents, des amis qui sont là pour moi et avec qui j’ai beaucoup de plaisir, un boulot qui me passionne, des passe-temps, des projets. J’ai une « belle vie »…

… mais.

Mais il m’arrive parfois d’être seul chez moi et de ne pas savoir quoi faire. Pas envie de lire, pas envie d’écrire, pas envie d’écouter Netflix, de boire, de fumer, de baiser. Ce sont des moments où j’aurais besoin de faire quelque chose de significatif, me semble-t-il, sans pour autant être capable d’identifier ce qui pourrait me remplir.

Je pourrais choisir de faire du yoga, de prendre des cours de je-ne-sais-quoi, de replonger dans les sports élites. Ce sont des activités qui rempliraient ma journée, certes, mais me rempliraient-elles spirituellement, donnerait-elle un sens à ma vie? Je sais, les mots « le sens de la vie » font peur. Ils sont tellement gros qu’ils nous paraissent souvent irréels, caricaturaux. Il y a même quelque chose d’un peu bourgeois dans cet énoncé.

Rationnellement, lorsqu’on se compare au reste de la planète, il est grotesque de se poser la question. De quoi pouvons-nous bien nous plaindre, alors que nous nageons dans l’opulence? Nous n’aurions pas à nous poser la question si notre principale occupation quotidienne était de survivre.

Je suis bien conscient que d’une certaine façon, je fais de l’excès de zèle. La plupart d’entre nous ont trouvé un sens à leurs vies sans trop de difficultés. Que ce soit en faisant des enfants, à travers la religion ou certaines pratiques spirituelles, le travail, les passions, le bonheur ne manque pas d’alibis. Il est même possible de passer sa vie sans se poser la question. On peut être « trop occupé » pour chercher un sens et très bien vivre avec ça. Mais je suis athée, je ne veux pas d’enfant et j’ai le luxe (ou le malheur, c’est selon) d’avoir le temps de me poser la question. Et je n’ai pas l’impression d’être le seul. La popularité des films de zombies, du survivalisme et de l’esthétique post-apocalyptique ne pourrait-elle pas venir d’une inconsciente volonté de revenir à un état où nous n’aurions justement pas le luxe de nous poser des questions existentielles? Serions-nous fatigués de devoir remplir nos vies?

Claire Lamarche décrit les enfants qui ont actuellement entre dix et treize ans comme faisant partie d’une génération où « le silence et l’ennui n’existe pas » (Les Échangistes, 6 septembre 2017), en pointant du doigt la technologie comme étant la principale cause de ce vacarme. Ne serions-nous pas toutefois les principaux coupables de cette frénésie? La société laïque est encore toute jeune. Il faut à peine remonter trois générations pour revenir à l’époque où la religion réglait nos vies et venait annihiler à la racine toute éventuelle crise de sens. Depuis, chaque génération laïque a trouvé sa propre méthode pour combler le vide; psychédélisme, mouvement hippie, new age, psycho populisme, société du loisir… on a inscrit nos enfants à l’équitation, au piano, au cours de mathématique privé et maintenant quoi, on voudrait en plus qu’ils apprennent à s’ennuyer? C’est notre propre crise spirituelle qui a créé cette situation, pas la technologie.

Avons-nous le courage et les moyens d’affronter le silence, ce vide qui rôde à quelques pas de nos longues heures à planifier notre prochain voyage, à s’entraîner, à chercher le restaurant, l’album, le roman, le film qui nous surprendra de nouveau?

Et s’il était possible d’être heureux tout en contemplant l’absurdité de la vie? Ne serait-il pas possible de revendiquer le droit d’être heureux, pessimiste, ennuyé, content et déprimé à la fois? D’accepter le chaos dans tout ce qu’il a de destructeur et de créateur? Si l’ennui et le silence nous mettent parfois en face de l’absurdité de notre propre existence, ce sont aussi des vecteurs de rêve, de création, de singularité, de ténèbres et d’étincelles (comme le dit aussi Claire Lamarche, d’ailleurs…).

Un peu plus de soixante-dix ans après la publication de L’Existentialisme est un humanisme, de Sartre, est-il possible d’être en paix avec la vacuité de notre existence sans pour autant se faire prescrire du Prozac?

La nature a peut-être horreur du vide, mais pas le cosmos. Permettez-nous donc de nous perdre entre les étoiles.

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Contemplation

Au-delà du taedium

Pour décrire l’état de malaise fondamental éprouvé par l’élite romaine au temps des guerres civiles, Sénèque avait proposé l’expression tædium vitae. Loin de s’en faire le défenseur, il voyait son concept comme une affliction que la population devait combattre. Un peu comme la dépression? Le temps qui éloigne l’époque de l’empire romain de la nôtre est beaucoup trop grand pour que nous puissions faire un parallèle direct entre l’état de tædium et la dépression, mais il est tout de même tentant de faire une comparaison avec le haut taux de consommation d’antidépresseurs en occident (Radio-Canada, Novembre 2014).

Je pense même qu’au-delà de cette maladie qui afflige autant nos contemporains, une certaine partie de la population subit cette forme d’ennui existentiel. Le cynisme que la population éprouve envers nos institutions démocratiques ou la difficulté que nous avons collectivement à imaginer des projets de sociétés en sont de bons exemples. En période d’élection, les  vox-pop donnant la parole à des citoyens aux joues gonflées par une exaspération qui ne vient même plus des tripes sont légions. Le désintérêt de cette fameuse « majorité silencieuse » est devenu une partie importante de notre écosystème politique.

Depuis un moment, toutefois, une nouvelle posture semble être adoptée par quelques-uns, voire plusieurs d’entre nous. On la voit se manifester sur les réseaux sociaux des milliers de fois par jour, elle a même remporté les dernières élections américaines. Je serais tenté de l’appeler « l’indignation », mais l’étymologie du mot ne semble pas bien correspondre à cette émotion qui s’étant un peu partout, jusqu’à prendre des allures de force politique. Il y a cette idée de perte de dignité dans l’indignation qui m’empêche de l’utiliser. Lorsqu’on s’insurge à-propos de l’annulation du spectacle de Lady Gaga, notre dignité n’est pas en jeu.

Nous sommes frustrés. Ce sentiment n’est pas à prendre à la légère et ne devrait pas être considéré comme moins digne d’attention que l’indignation ou le tædium. Il ne s’agit pas d’une crise puérile. La frustration est insidieuse, car elle prend racine au sein de ce qui semble être des détails, puis s’accumule. Il nous est tous déjà arrivé de vouloir frapper sur une télévision dont l’image est floue, de lancer un stylo qui ne fonctionne plus ou d’engueuler une tondeuse qui ne « veut » pas démarrer. Si l’événement contrariant se répète à plusieurs reprises, la colère monte et il est fort probable que quelqu’un voulant simplement vous aider se prenne une remarque acerbe en plein figure.

Sans qu’il n’y ait de cerveau machiavélique aux commandes (je suis peut-être naïf), notre monde semble générer une quantité phénoménale de ces petites colères. L’expression est connu et galvaudé au possible, mais elle reste ô combien pertinente : « La vie est injuste ». Tout comme la frustration, cette injustice n’est pas à prendre à la légère.

Notre environnement médiatique nous promet simultanément des mondes d’abondance et l’apocalypse; l’état et la population sont endettés, les coupures de début de mandats se succèdent aussi régulièrement que les maigres réinvestissements pré-électoraux, mais la perspective de partir en voyage, de s’acheter une nouvelle voiture ou un petit ensemble tout neuf à crédit nous est rappelée incessamment. Ces constats sont tellement normaux qu’il est presque  convenu de les énoncer. Au moment d’écrire ces lignes, j’ai l’impression de chanter les paroles d’un vieux tube que plus personne ne veut entendre.  Les places en garderies, l’attente dans les hôpitaux, le sous-financement en éducation… vous savez tout ça. Peut-être trop? Je pose la question, réellement.

Ce n’est pas la nature même de ces énoncés qui est importante, ici, mais l’accumulation des irritations. En moyenne, un adulte nord-américain voit en moyenne 3000 publicités par jour. La mission même d’une publicité est de susciter le désir de son public. Pour ce faire, bien sûr, la publicité met en scène un monde idéalisé et inaccessible, pour la majorité d’entre nous, du moins. Ajoutez à cette donnée les journaux télévisés, les chaînes d’information continue et l’omniprésence des réseaux sociaux dans notre quotidien, et vous obtenez un beau stylo métaphorique constamment sur le point de mourir. Vous obtenez une machine à fabriquer de la frustration.

Nous sommes donc confronté à un lot colossal d’irritants à chaque jour et ce, sans même s’en rendre réellement compte. Il est d’autant plus troublant de voir que la frustration rassemble. Alors que le sentiment d’appartenance, où la définition même de « groupe », de « clan » et de « famille » sont en pleine redéfinition, la frustration semble faire office de ciment social, sans compter qu’elle est à la portée de tout le monde.

Le problème est qu’en ces temps de tædium hyper moderne, la frustration est vue comme une fatalité. Face à cette fatalité, la colère est souvent le moyen le plus efficace de la soulager. Nait ainsi une sorte de cercle vicieux mais cathartique perpétuellement réactivé par la machine infernale.

Le meilleur moyen de sortir de ce cercle vicieux resterait peut-être encore de faire dériver les flots de la frustration vers quelque chose d’autre que la colère, et d’identifier tous les réels engrenages qui constituent la machine. Mais sommes-nous prêts à prendre le temps de gratter ce bobo collectif? Serions-nous en train de devenir des accrocs de la frustration?

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Contemplation, Notes

LME – Chronique du 22 Août 2016

Je découvre un nouveau monde qui est beaucoup plus vaste que je ne l’avais imaginé! Non, je ne parle pas de No Man’s Sky mais bien de cette nouvelle fascination que j’ai pour les légendes et les mythes entourant les jeux vidéos. À chaque nouvelle recherche je tombe sur de nouvelles histoires, chacune inspirante à sa manière. Cette semaine, dans ma chronique aux Mystérieux Étonnants, je me suis penché sur deux phénomènes :

Killswitch
Dès le départ, le nom de ce présumé jeu de 1989 renferme une bonne dose de mystère. Supposément conçu par une équipe de programmeurs Russes à la fin du régime soviétique (méga référence au mythos entourant Tetris, ici), ce jeu tiré à seulement quelques milliers d’exemplaires aurait la particularité de s’effacer après une session de jeu. Donnant le choix au joueur dès le menu d’ouverture d’incarner soit une jeune fille ou un démon invisible (littéralement), il serait facile de terminer l’aventure grâce au premier, et presque impossible (pour des raisons évidente) en utilisant le deuxième. L’histoire se corse lorsque des années plus tard, un collectionneur réussi à mettre la main sur la dernière copie existante pour plusieurs centaines de milliers de dollars. Voulant documenter sa séance de jeu unique, le collectionneur décide de la diffuser par vidéo; mais lorsqu’il arrive devant l’écran de menu du jeu, celui-ci éclate en sanglot, incapable de poursuivre.

Cette histoire se retrouve maintenant un peu partout sur Internet. On retrouve même des exemples de gameplay de Killswith sur Youtube :

Mais KillSwitch est une oeuvre de fiction, qui par l’unique pouvoir de la littérature a réussi à déborder de son cadre originale, pour venir contaminer l’imaginaire collectif. Si le sujet vous intéresse, voici un lien vers un essai très intéressant au sujet de la réception de l’histoire.

La course aux runes des indie games
Je laisse ici l’article de Vice qui décrit le phénomène entourant la présence de runes et de morceaux de puzzle complexe à l’intérieur de plusieurs jeux vidéos indie ayant vu le jour depuis 2015. Apparemment, un énorme Alternate Reality Game (ARG) serait en train de se mettre en place, sans que la plupart des personnes impliquées dans la construction du jeu ne soient au courant de son issue!

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Bricolage, Contemplation

LME – Chronique du 15 Août 2016

Lors de ma chronique aux Mystérieux Étonnants du 15 août 2016, j’ai fait référence à quelques « mythes vidéoludiques » qui me fascinent, et nous avons dit que nous étions pour mettre les références sur le web. Je vais tenter de faire ça un peu plus souvent, d’ailleurs! Voici donc :

La légende du Serpent Géant de No Man’s Sky
On en parle beaucoup sur Reddit, mais Kotaku a aussi fait un article intéressant sur le sujet, qui met en perspective la grogne du public par rapport à la présence ou non de la bestiole en question.

L’infâme niveau 999 de Tibia
J’ai trouvé la nouvelle sur le réseau de Vice,mais il est possible d’approfondir vos recherches au sujet de la disparition du joueur Kharsek sur le forum Windbot (attention, ça troll et ça dit des gros mots).

Le « fantôme » de Active Worlds
Je mets le vidéo où Vinesauce flippe sa race en découvrant qu’il n’est pas seul dans sa session de Active Worlds, et plus bas le Ask Me Anything de Hitomi Fujiko (à lire après!)

Hitomi Fujiko A.M.A.

Voilà! Si vous découvrez de nouvelles légendes vidéoludiques, ou qui « sortent du cadre » prévu par la structure de jeux vidéos, écrivez-moi!

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Contemplation

Mon voyage en Beauce – Dernière partie

La position de départ des voitures pour une course de derby de démolition est plutôt intéressante. Alignées en deux rangs se faisant face, les bolides ne sont toutefois pas tout à fait nez à nez. Les conducteurs n’ont pas le droit de s’attaquer directement. On doit laisser passer son vis-à-vis à ses côtés, pour se retrouver cul à cul. Manière d’augmenter le niveau de difficulté tout en évitant de trop tôt face à face dévastateurs. En même temps, j’y perçu une certaine forme de civisme, d’esprit chevaleresque, même.

Dès que les voitures se mirent en marche, j’oubliai les étranges mots de bienvenue de notre ami. Je me laissai prendre par le spectacle de destruction qui se déployait devant moi. Les voitures déchiraient leurs pneus à force d’accélérer dans leurs ennemis immobiles. Les vitres volaient en éclats, des morceaux de ferraille étaient propulsés dans les airs.  Au bout de quelques minutes, la piste fut envahie par un épais nuage de fumée huileuse. J’avais l’impression de devoir plisser les yeux depuis que j’étais arrivé.

Chaque course durait un peu moins de dix minutes, et était entrecoupée d’une pause où le public pouvait aller se réapprovisionner en canettes de Bleues et en Pogo à la farine de sarrasin. Une canette de bière dans une main, un pogo dans l’autre, j’encourageais les participants, je réagissais aux bons coups, je voulais que ça cogne. Mon euphorie se calma toutefois, lorsque la députée libérale est venu faire un « discours » entre deux courses.

– C’est un plaisir d’être avec vous aujourd’hui. Il fait beau!

Aucune réaction de la part de la foule. La même chose lorsque le candidat de la CAQ vint dire exactement la même chose, mais en rajoutant « il faut que ça change »…  Ce sont les seuls moment de pseudo silence auxquels nous avons eu droit. Pas un applaudissement, pas un sifflet pour les politiciens en campagne. Je senti que la foule ne voulait pas leur accorder la moindre attention. C’était pourtant deux candidats provenant de parti qui avaient le plus de chance de l’emporter dans la région, mais les beaucerons ne sont pas idiots et sont fiers, de surcroît. Ils rendaient brillamment la monnaie de leur pièce à ces politiciens qui les oublient trop souvent lorsqu’ils ne sont pas en campagne. Ces deux candidats, l’espace de quelques instants, étaient devenus des fous du roi dans l’arène des seigneurs de la Beauce.

En revenant vers Montréal, dans la voiture, j’étais à la fois profondément fier et peiné. Je ne sais pas si je réussirai à mettre les mots adéquats sur ce sentiment que j’éprouve lorsque je pense à ce weekend.

Mais de toute façon. Je suranalyse…

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Mon voyage en Beauce – Partie III

(c) Jason St. Peter

À l’époque, Sainte-Marie-de-Beauce était une seigneurie. Les terres agricoles s’alignaient de long de la rivière Chaudière, qui se déverse dans le fleuve St-Laurent, à Lévis. Aujourd’hui, c’est un des centres économique important du Québec. C’est encore un lieu reconnu pour son agriculture, mais disons qu’on l’associe autant aux gâteaux Vachon.

Nous avons dû garer notre voiture dans le stationnement d’une église en face du terrain où le Festival de la Galette de Sarrasin avait lieu. C’était bondé. En sortant de la voiture, un vent chaud nous souffla de la poussière au visage. Nous entendions déjà le bruit des moteurs au loin. Le pick-up beige était peut-être dans le coin…

Un ami à elle, qui participait à une des courses, nous souhaita la bienvenu. Un bon gars, appuyé contre la clôture qui entourait le terrain où les voitures modifiées pour la démolle attendaient leur ultime heure de gloire. Il n’y a pas que des courses de démolition au Festival de la galette. Il y a aussi des expositions de voitures anciennes, des shows de boucane et des concerts rocks. Derrière l’allure plutôt paysanne de la mission officielle du festival, ce trouve une célébration du moteur et de sa puissance. Ce serait un euphémisme de dire que les beaucerons aiment les moteurs. Comme s’ils étaient sur-conscients de l’importance de cette icône de la révolution industrielle. Peut-être qu’un jour on fera des fêtes populaires où on exposera des PC 486 modifiés, exhibant au soleil leurs cartes mères bien époussetées.

Quelques instants après avoir pris place dans l’herbe qui bordait la piste, un autre ami à elle est venu à notre rencontre.

– Eh! On dirait une gang d’artistes qui regarde de la démolle… En tout cas, nous autre notre huile on la jette directement dans’ rivière, pis on aime ça de même!

À suivre…

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Mon voyage en Beauce – Partie II

Entre la visite guidée et l’apéro au jardin, lorsque j’étais allé porter mes affaires dans la chambre d’amis où ma copine et moi avions élu domicile, une boîte contenant un écran de veille Jurassic Park avait attiré mon attention. Sur l’emballage, une jungle luxuriante envahissait un bureau sur lequel était posé un PC. Je m’étais rappelé qu’à l’époque où on achetait encore des écrans de veilles chez Radio Shack, j’avais dû voir ce film au moins trente-six fois.

Après quelques bières et un débat sur les sempiternelles différences entre Québec et Montréal, nous nous étions dirigés à pied vers l’épicerie pour acheter de la viande à faire griller sur le charcoal. En chemin, une voiture sport rouge était passée en trombe à côté de nous. Le passager nous avait crié quelque chose, mais la voiture allait trop vite pour que sa phrase soit compréhensible.  Il devait être vingt-et-une heure. Nous étions seuls aux abords d’un boulevard éclairé par une multitude de vitrines commerciales. L’homme continuait à crier, au loin.

À Sainte-Marie, il n’y a pas de trottoirs dans toutes les rues. C’est normal, étant donné que les gens utilisent toujours leurs véhicules. Les distances entre les points de départs et d’arrivées sont plus grandes. Du coup, on marche moins.  On se déplace d’un espace privé à un autre. Un peu comme en banlieue de Montréal. Enfant, on m’avait déjà lancé des sacs de déchets d’une voiture en mouvement, alors que je me promenais avec des amis dans une rue paisible de Boucherville.

Mais au même titre que le pick-up fantôme, Boucherville et les boulevards-salons étaient loin derrière, maintenant. Nous suivions deux autres voitures, en direction de Saint-Lazare, sur le point d’atteindre l’ultime objectif de notre voyage; assister à un championnat de « démolle ».

À suivre…

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Mon voyage en Beauce – Partie I

Un album de Canailles jouait dans le lecteur CD de la voiture. Le conducteur venait tout juste de fermer les fenêtres parce que l’odeur de bouse l’écoeurait. Au loin, un pick-up beige quitta la route pour couper à travers un chemin de terre qui traversait les champs de maïs. Un immense nuage de poussière enveloppa momentanément le camion, pour ensuite se transformer en queue spectrale suivant sa trajectoire.

Elle nous avait invités à passer la fin de semaine dans sa maison de Sainte-Marie. Une belle petite maison sur le bord de la rivière Chaudière, qui appartenait à sa famille depuis toujours.

– Le trottoir en face de chez moi, c’est le mien! C’est moi qui dois le pelleter. Nous avait-elle dit avec fierté, en nous faisant visiter son domaine.

La maison était blanche avec des volets verts, et renfermait un nombre surprenant de pièces compte tenu de sa grandeur. C’était une maison construite pour l’hiver et aménagée en fonction de la crue ponctuelle des eaux. À la cave, le chauffe-eau était surélevé, et les poutres de soutient étaient coulées dans le béton. Même si son âge vénérable transparaissait à travers les craquements du plancher et les cadres de portes hésitant, on s’y sentait le bienvenu. Après le tour du propriétaire, nous nous étions dirigés vers le jardin, à l’arrière. Les premières bières s’étaient débouchées sous l’oeil attentif d’un voisin évaluant la menace à travers sa haie de cèdres.

À suivre…

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Longue vie aux dandysme

Le dandysme est un soleil couchant; comme l’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie. Mais, hélas! la marée montante de la démocratie, qui envahit tout et qui nivelle tout, noie jour à jour ces derniers représentants de l’orgueil humain et verse des flots d’oubli sur les traces de ces prodigieux mirmidons.

– Charles Baudelaire

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