Écrire, Édito

Sur le perron de Deglise

Samedi dernier, Fabien Deglise a publié dans les pages du journal Le Devoir un texte portant sur la bande dessinée de science-fiction au Québec. Au-delà d’une bonne critique du dernier ouvrage de Grégoire Bouchard, le journaliste a profité d’un spécial « genre » au sein du cahier culture pour dresser un étrange état des lieux du médium dans la province.

En se basant sur les propos d’auteurs qu’il a contactés – et qui ont depuis dû clarifier leurs dires et souligner que pour la plupart des cas, ils avaient été mal cités- Deglise oppose une bande dessinée « intimiste » à une bande dessinée dite de science-fiction qui inclurait « anticipation, uchronie, dystopie et univers parallèles » [sic]. Suite à un malaise certain que je semble avoir partagé avec une bonne partie du milieu de la BD au Québec depuis, j’aimerais discuter un peu des propos qui y sont tenus. Ce texte n’engage bien sûr que moi, et c’est avant tout une manière d’exorciser des idées qui me trouble et que j’ai besoin d’éclaircir, bien plus qu’un pamphlet ou une lettre ouverte.

Dans un premier temps, le journaliste cite l’auteur Sam Cantin qui aurait avancé que « la mode de la bande dessinée intimiste nuit à la bande dessinée de genre […] ». J’ai moi-même déjà tenu ce genre de propos. Tentant de faire ma place dans le milieu de la BD, j’essayais d’identifier ce qui pouvait me ralentir dans mon parcours, et j’avais remarqué qu’une bonne part de la petite attention médiatique qui était donnée à la BD au Québec était destinée à ces oeuvres dites « intimistes ». Je n’ai toutefois jamais senti que les portes du temple étaient fermées. Il suffisait de s’y présenter avec quelque chose d’intéressant. Bref, en tant qu’auteur et éditeur de bd de genre ou de littératures de l’imaginaire, je trouve la déclaration assez forte. Bien que l’attention médiatique n’ait peut-être pas été à la hauteur de mes espérances dans les débuts, j’ai toujours réussi à tirer mon épingle du jeu. Même si Studio Lounak ne reçoit aucune subvention, Front Froid a bénéficié de plus de six ans de financement public grâce à des programmes du CAM, du CALQ, du CAC et de la défunte CRÉM.

Ensuite, et ce point est particulièrement sensible pour moi, on donne en exemple la série Far Out que j’écris en compagnie d’Olivier Carpentier ainsi que la série Hiver Nucléaire de Cab, que j’édite, pour illustrer une idée selon laquelle la BD de genre d’ici se cantonnerait « à quelques récits participants d’une culture « geek ». On y rajoute que nous ne rechercherions pas à développer un discours plus profond qu’un simple jeu avec les codes de la SF. Dans un premier temps, je ne sais pas exactement ce qu’une « culture geek » veut dire, mais dans le cadre du ton péjoratif qu’il semble avoir été donné à l’acception, j’ose une explication. Nous serions le produit d’une génération conquise par une culture de passionnés d’univers imaginaires étrangers, de séries produites par Netflix, de films de superhéros et autres produits édulcorés consommés par les masses. Je suis le produit de mon époque, j’en conviens, mais avancer que le genre se cantonne à quelques récits qui participent de cette culture est réducteur, selon moi. Turbo Kid, Motel Galactic, Le Suicide de la déesse, Faüne, West, Phobie des moments seuls, une bonne partie de l’oeuvre de Jimmy Beaulieu, l’oeuvre complète de Michel Falardeau, l’oeuvre complète de Thierry Labrosse, Francis Desharnais, Cab, Zviane, ont tous été influencés par la culture populaire mondiale et peuvent tous être associés aux littératures de l’imaginaire. En ces temps d’hypermodernisme et de mondialisation, nos influences viennent autant du Japon que de la France, du Québec, de l’Italie ou des États-Unis. Dans les artistes et livres nommés plus haut, il y a des gens dont l’œuvre est associée à la bd dite intimiste, d’autres à la bd de genres. Comme les limites géographiques, les limites culturelles sont de plus en plus poreuses (voir à ce sujet le collectif dirigé par Michel Le Bris et Jean Rouaud « Pour une littérature-monde », publiée chez Gallimard). Bref, on ne peut plus présenter un milieu littéraire comme si c’était une section de librairie. Notre milieu a évolué et il est en train de devenir complet et par conséquent, complexe.

En ce qui concerne les deux œuvres dont il est fait mention dans l’article qui me concerne, faut-il rappeler que Far Out et Hiver Nucléaire sont deux séries qui s’adressent à un public très large, voire principalement constitué de préadolescents et d’adolescents. Sans pour autant aborder des enjeux de société de manière éditoriale, ou adopter une posture philosophique profonde, ce sont des ouvrages qui traitent d’enjeux importants; l’isolement, l’individualisme, le libre arbitre, la construction de soi, la guerre, les changements climatiques. Avec humour, parfois même avec légèreté, il est vrai, mais je revendique le droit d’écrire et d’éditer de belles histoires, bien construites, avec comme simple but de transporter mon lecteur. Nous faisons partie d’une nébuleuse bien plus large et riche que la dichotomie archivistique que cet article nous propose.

Par défaut
Écrire, Édito, Notes

Je suis un cyborg

« Rien ne tourmente l’appétit du Collectif comme le Livre. Ça l’irrite spécialement, cet objet matériel, non électrique, dans quoi un solitaire peut s’absorber longtemps, en silence. C’est le village d’Astérix de l’Empire du Bien Google, l’exception scandaleuse d’un flux désuet à connexion psychique en différé sur les temps passés. » (source)

Le Collectif : Selon la critique-fiction de Larose, le cyber-espace serait comme « le collectif » du Borg, dans Star-Trek; une entité assimilant tout sur son passage, et niant l’individualité de l’Homme.  C’est plutôt l’analogie bancale de Larose qui assimile tout sur son passage, en mettant dans le même panier utilisateurs, créateurs, commentateurs et industriels. Je ne ferai pas l’apologie de la liberté d’expression que nous permet la publication numérique; c’est factuel. Nous ne sommes jamais obligés de nous plier à la volonté des gens qui commentent négativement nos billets. Bien au contraire. Souvent, ça nous force à approfondir notre prise de position, à chercher de nouveaux arguments pour défendre notre point de vue.

En parlant du Borg. Larose me l’avait sorti, en plein cours d’ailleurs : « Oui, j’aime la science-fiction, je suis un amateur de Star Trek ». Il s’était justement mis à parler du Borg. Tout porte à croire que c’est l’unique référence en la matière qu’il possède. On remarque ici une réaction typique de l’adepte de la terreur androïde…

Le fait est que je suis un cyborg. J’aime m’enfermer dans une pièce avec de l’encre et des piles de papier, d’ouvrages théoriques et de romans jaunissant.  Rencontrer des amis autour d’une quantité phénoménale d’alcool. Écrire une lettre. Faire l’amour et dire : « un autre grand roman qui ne s’écrira pas ». Conspuer la réforme de l’orthographe, admirer un vers de Miron, faire des blagues au sujet du lac Léman.

Mais je suis un cyborg.

Je suis un être de chair et de métal, de sang et de culture. J’aime sentir l’acide d’un livre vieillissant autant que l’acide des batteries de mon netbook ou de mon Ipod. J’aime me servir du « futur » pour voir et dire le passé et l’infinie continuité du présent.  J’utilise wikipédia, je cite des viédos youtube, je lis Gawkers et j’admire Balzac. Oui, c’est possible, Monsieur Larose, de ne pas avoir envie d’entrer dans une « classe »…

« Le livre irrite le collectif » : faux.  La plupart de mes collègues modernes sont d’accord pour dire que le livre électronique est une fausse invention, qui vient du haut et non du bas.  C’est une grande faute d’associer livre électronique (industrie, produit) et culture de la grille.

Par défaut