Je devais avoir huit ou neuf ans lorsque, à l’occasion d’un souper chez mon parrain, j’ai eu pour la première fois un aperçu de la force évocatrice que pouvait avoir la culture populaire. Sur un des murs de son étroite cuisine montréalaise était accroché un petit cadre contenant une cellule acétate ayant servi à réaliser un plan du dessin animé de Popeye. Je suis resté plusieurs minutes à admirer l’artéfact, impressionné par sa présence au sein d’un décor plutôt classique. Ce n’était pas une épiphanie mais plutôt une constatation déconcertante : quelque chose qui faisait partie de mon imaginaire d’enfant était élevé au rang d’œuvre d’art. Je venais d’assister sans le savoir à mon premier cours sur le Pop Art.
Toute ma vie, j’ai été fasciné par des objets qui m’invitaient à plonger tête première au sein d’univers qui me sortaient de mon quotidien. Les piles de comics dans la chambre du grand frère de mon meilleur ami, la grosse boite d’Hero Quest déballée pour la première fois, un vingt-six Décembre. Les premiers dés brassés pour savoir de quoi mon personnage de D&D serait capable. Cette fascination n’est pas apparue spontanément; elle fut probablement alimentée par ma situation familiale atypique, mais il n’est pas nécessaire de nous concentrer là-dessus. Ce n’est pas nécessaire car je ne me suis jamais senti opprimé par ma situation. J’ai de bons parents qui m’ont fournis tout le nécessaire pour me développer et j’ai toujours eu de bons amis avec qui socialiser.
Oui, à ma première journée d’école primaire j’ai reçu un coup de pied au visage. Oui, je me suis déjà fait enfoncer la tête dans le carré de sable parce que « c’était drôle », mais je m’en suis sorti assez rapidement pour que ces rares expériences ne soient pas représentatives de mon enfance. Plusieurs n’ont pas eu cette chance, et même si j’ai atteint l’âge adulte et que je ne suis plus partie prenante de la géopolitique de la cours d’école, force est de constater que plusieurs n’ont encore pas cette chance.
Ce qui m’amène à aborder la raison pour laquelle j’écris ces lignes. Depuis un certain temps déjà, on entend que les geeks auraient « gagné ». C’est une phrase que j’ai sûrement moi-même dite en compagnie de mes collègues, au podcast Les Mystérieux Étonnants.
« Les geeks ont gagné ».
Un jour, Les Mystérieux Étonnants ont reçu un message d’un jeune auditeur qui sentait le besoin de nous faire part de son expérience. En substance, il voulait nous expliquer que pour lui, les geeks n’avaient pas gagnés… Il subissait la même chose que la plupart de mes compères avaient eux-mêmes subit à l’école. Cette année d’ailleurs, au Comic-Con de Montréal, il y avait un kiosque tenu par un groupe de motards dont la mission exclusive est de protéger les victimes d’intimidation à l’école.
Il est donc nécessaire de se poser la question : qu’avons-nous donc gagné? Une partie d’entre nous ont vieillis et ont gagné un pouvoir d’achat considérable. Les mégas productions d’Hollywood ont démocratisé les porte-étendards de la culture du comic book. Nous avons même de magnifiques modèles de réussite autant sociale qu’économique tel qu’Elon Musk, Mark Zuckerburg, Bill Gates et Neil deGrasse Tyson, pour ne nommer que ceux-là. Les gens sont conscients de notre présence, de notre place et de notre contribution à la société.
Mais est-ce gagner que d’être présent ? Que penseraient les premiers hackers, crackers, phreakers et tous les grands-papas nerds de tout ça? Qu’en pensent Steve Jackson, le fondateur de GURPS ou Kevin Eastman, qui a utilisé sa fortune des Ninja Turtles pour développer une scène du comic book indépendante riche et fertile? Que pense-t-il du fait que l’allée des artistes au Comic-Con de San Diego est un spectacle triste à voir tellement elle est vide, en comparaison au restant de l’exposition?
Mathieu Charlebois, dans un récent texte au sujet du Comic-Con de Montréal, a dépeint avec talent une scène qui m’a touchée droit au cœur. Celle d’un jeune homme habillé en Joker mangeant son Thai Express sous un escalier du Palais des Congrès, l’air fatigué (saluons-le bien bas). Une bonne partie de nous ressemble un peu à ce joker; la fuite, bien que rassembleuse, nous a épuisée et la victoire a un arrière-goût de défaite. Pourquoi donc?
Votre grand-père qui passait ses soirées à faire des dissertations sur les différents types de trains, de locomotives diesel et à vapeur, votre tante qui passe ses fins de semaines dans des salons de courtepointes, sont aussi des geeks. Ils ont besoin de sortir de leur quotidien pour décompresser, d’appartenir à des clans. C’est humain. Ont-ils quelque chose à prouver? Ont-ils un agenda? Voulaient-ils « gagner » quelque chose?
Dire que les geeks ont gagné semble avant tout souligner un problème plus radical. Le fait qu’il y ait confrontation, quelque part. Nous sommes bel et bien en train de parler de cette sempiternelle rivalité entre les « cool » et les « rejet »… n’est-ce pas? Serions-nous, finalement, toujours dans cette foutue cours d’école? Et si nous y sommes encore, qui a gagné, à l’heure ou Donald Trump est président, ou le Canadien de Montréal a plus de temps média que le premier ministre, ou Rambo pense se présenter aux élections, ou on rit encore de la moustache de Manon Massé?
La plupart des gens que je connais qui disent que les geek ont gagné c’est des gens qui ne savent pas se servir d’un pc (en dehors d’envoyer un mail ou d’aller sur facebook) et qui quand une fenêtre d’erreur s’affiche sont tout paniqués et appellent la personne geek qui sait cliquer sur le bouton « OK » du message d’erreur.
Ce que les geek ont gagné c’est surtout une reconnaissance. Et c’est déjà bien d’exister.
On peut jouer à des jeux de société, lire des BD, sans se faire dire « c’est pour les enfants »
Ah la cour d’école… Ceux qui sont font intimider dans la cour d’école, ce ne sont pas nécessairement les geeks mais les différents. Si ta passion de geek se conforme à la majorité aucun problème, non? Les geeks de sports sont rarement niaisé pour ça. Le fait que les super-héros soient populaires ces temps-ci a peut-être au moins le bénéfice de faire respirer les geeks de super-héros? Mais intéresses toi à quelque chose de différent et ouch.